Exposition « L’instant et l’éphémère »  Galerie Jean Paul Barrès

Du 7 juin  au 7 juillet 2018

www.galeriejeanpaulbarres.com

Jeanne Lacombe explore le monde, sa peinture naît de ses voyages. Lorsque je l’ai rencontrée, il y plus d’une vingtaine d’années, elle revenait de Rome. Ce séjour, passage obligatoire pour tout peintre qui se respecte, lui avait fait produire de grands formats sur lesquels s’inscrivaient des frontons de temples aux colonnes précaires et bousculées. Ces compositions complexes, dans des camaïeux de gris, contenaient une violence sourde, un tremblement de terre en suspend faisait vaciller les vestiges encore arrogants de l’empire. Qu’elle peigne la forêt depuis son atelier aux portes du Tarn, ou bien la ville après une résidence à la Cité Internationale des Arts de Paris, Jeanne Lacombe cadre avec précision ses sujets. Engoncés dans le format, comme les temples, ou s’échappant hors cadre, comme les arbres, chacun de ses objets du regard détermine la singularité de la peinture à venir.

Depuis quelque temps déjà, l’artiste pratique la céramique. Elle multiplie les expériences et sa démarche se battit par un empirisme empreint de curiosité. Elle varie les techniques pour se renouveler en permanence. Dans les peintures, le voile pictural qu’elle dépose sur l’image photographique vient chambouler le réel. Le tremblement qui en résulte désoriente notre regard, à nous de préciser notre attention, de devenir un regardeur actif qui vient scruter la surface du format pour en explorer les mystères. Jeanne Lacombe joue avec les accidents, elle ne respecte pas les règles et préfère tenter l’impossible pour provoquer des formes et des couleurs inattendues. Si sa peinture s’appuie sur une palette réaliste, ses céramiques empruntent à l’alchimie. L’artiste mélange les pigments, multiplie les cuissons pour obtenir des couleurs complexes, où les couches se superposent et se révèlent doucement au regard. Ses couleurs irradient avec intensité et font de ses pièces cuites, à l’instar de ses images peintes, des objets hybrides, qui créent un pont entre les médiums. Le talent de Jeanne Lacombe est d’abolir les frontières entre peinture et photographie, volume et peinture. Dans son travail, rien n’est complètement à sa place, chaque élément glisse doucement vers de nouveaux territoires.

Jeanne Lacombe crée du lien, elle jette des ponts au-dessus des détroits, elle relie les mondes, les genres et les styles, elle est libre. Ses photographies peintes jouent sur le doute. Le réalisme de l’image photographique est sublimé par la touche enlevée de la peinture. Celle-ci n’est plus prisonnière de son auritarisme vain et la photographie se déleste de son horizon frustré. Les deux s’enlacent dans une danse ensoleillée. Si l’artiste parvient avec autant de fluidité à lier ce qui semble opposé, c’est qu’elle a effectué plusieurs résidences de travail dans deux villes du bassin méditerranéen qui depuis l’autre rive sont à portée du regard de notre continent vieillissant. D’Istanbul à Tanger, Jeanne Lacombe s’est immergée dans ces cultures voisines et a observé avec recul, notre Europe isolationniste, civilisation occidentale qui aujourd’hui refuse le brassage et la diversité, prenant ainsi le risque d’accélérer son déclin symbolique. L’artiste a compris que la distance et le voyage permettaient de rencontrer l’autre et par l’altérité, de nourrir une œuvre en permanente évolution. Entendons nous bien, Jeanne Lacombe ne produit pas explicitement ce que nous pourrions qualifier d’art politique, dans le sens militant, voire revendicatif. Non, son art est subtilement irrigué par sa conscience politique, elle n’impose pas une lecture du monde, elle le lit à l’aune de son regard et le partage avec nous. D’où cette liberté entre les médiums, qui finalement bouscule les codes d’un art trop souvent conformiste. L’art de Jeanne se moque de la pureté, cette vaine quête sclérosante, issue des dictats du discours dominant. Ici l’art, est anti-pur, les médiums explosés, les techniques contournées, le sujet magnifié. Si Édouard Glissant a théorisé la créolisation du monde en revendiquant la poésie comme acte politique, Jeanne affirme la diversité de ses sources et la multiplicité des gestes qui nourrissent sa pratique. L’acte photographique, la fabrication des couleurs, le toucher de la peinture, l’alchimie de la céramique, tout est outil à faire œuvre et toute œuvre est le fruit d’une rencontre.

Jeanne Lacombe apprend du monde, les territoires qu’elle traverse sont l’occasion de multiples découvertes. Les espaces sont hétérogènes, les dimensions locales s’additionnent et se multiplient à l’inverse de l’unicité de la globalisation qui, principalement régie par son principe de domination, annule toute diversité. L’artiste l’a bien ressenti et son regard sur ces natures multiples témoigne de son attention à la différence. La nature, le ciel, l’eau, la terre, les végétaux méditerranéens, les fleurs, les roses, ne sont pas que prétexte aux formes et aux couleurs. Le regardeur les éprouve, ressent leur présence, et les peintures de Jeanne nous rappelle toutes, un instant personnel, une route, une visite à la famille, un temps suspendu, un concentré de souvenirs, des images, des odeurs, des sensations. Jeanne Lacombe attise notre mémoire sans pour autant convoquer la nostalgie. C’est le naturel et la simplicité de ses peintures parfois ponctuées de touches proches de l’abstrait qui relient son sujet à notre part d’intime. Son travail est universel, parenthèse en suspend, le temps évoqué n’a pas disparu. Ce temps que nous tendons tous à vouloir garder éternel.

Manuel Pomar, artiste, directeur artistique de Lieu-Commun.

Photographies Philippe Cadu